Gilles Pafflard

 

Gilles Pafflard, il habitait juste un peu plus bas dans le village, il savait donc bien quel genre d'homme était le fermier. En fait, Gilles avait la réputation d'être un jeune homme très paresseux, plus prompt à faire des blagues qu'à manier la bêche...

C'est à la suite d'une querelle avec ses parents à cause de sa paresse qu'il s'était décidé à devenir valet chez ce fermier-là. Il ne l'avait pas choisi au hasard, il avait une raison, une très bonne raison : Gertrude lui plaisait... Il prit donc le chemin de la ferme. Arrivé là, il fut accueilli par la hargne du chien de garde, puis par la mauvaise humeur du fermier :
- Si tu es mendiant ou colporteur, passe ton chemin ! Nous n'avons besoin de rien et nous sommes bien trop pauvres pour faire la charité !

 

Bien loin de se démonter, Gilles répondit hardiment qu'il venait lui proposer de travailler pour lui, en échange seulement d'un peu de pain. Le fermier se méfiait et commença par refuser, mais il finit par accepter : Gilles proposait en effet de ne lui donner salaire que si son employeur était satisfait de ses services. Le jeune homme fut donc envoyé travailler dans un champ qu'il devait avoir terminé de faucher avant la tombée du soir, sans quoi il ne serait pas payé. Gilles s'en alla joyeusement vers son lieu de travail. Arrivé là-bas, il se coucha sous un arbre pour profiter de ce beau jour d'été...

Le soir allait tomber quand il se décida à s'agiter un peu. Il sauta sur ses pieds et commença à arpenter le champ et la campagne environnante. Il ramassa des bousiers, ces insectes qui ont l'habitude de se nourrir d'excréments, ainsi que de nombreux vers trouvés dans des fruits et sous l'écorce des arbres. Estimant sa récolte suffisamment abondante, il emballa les insectes dans des morceaux de toile et reprit le chemin de la ferme. Là Gertrude attendait son retour avec impatience : en fait, Gilles lui plaisait bien, et elle avait passé une bonne partie de l'après-midi à lui préparer amoureusement un bon repas. Mais Gilles était à peine arrivé à la ferme qu'il se trouva nez à nez avec le fermier qui sortait du cellier où il avait découpé et salé lui-même un cochon bien dodu.

- As-tu terminé ta besogne ?
- Pour sûr, répondit Gilles avec beaucoup d'assurance.

Le fermier l'interrogea alors sur les paquets qu'il tenait en main :
- C'est un essaim d'abeilles, si vous voulez, je vous le vends à bon prix !
- Comment, s'esclaffa le fermier, cet essaim est à moi, tu l'as trouvé sur mes terres, comment oses-tu croire que tu as le droit de me le vendre ?!
Gilles ne se laissait pas impressionner. En plus, le fermier s'énervait tellement qu'il dut faire quelques pas pour reprendre son souffle, il ne faisait plus attention à Gilles. Celui-ci en profita pour se glisser dans le cellier et répandre toute la vermine qu'il avait récoltée sur le cochon tout frais de l'avare... Il venait de remonter quand le fermier, qui s'était un peu remis de son étouffement, l'apostropha de nouveau, le menaçant de le mettre dehors s'il ne consentait pas à lui donner l'essaim d'abeilles. Alors Gilles répliqua :
- Faites ce que vous voulez, vous ne connaissez pas mon pouvoir... Il me suffit de dire trois vœux et ils sont exaucés sur le champ !

 

Devant l'incrédulité du fermier, Gilles prit un air digne et sérieux et prononça la formule magique :
- Krik, Krak, Patakrak! Démons et nutons, je vous appelle à l’aide ! Faites que ces abeilles se transforment en bousiers, que le porc du saloir se couvre de vermine, et que l'herbe repousse dans le pré que j'ai fauché !
Le fermier ne voulait pas y croire, mais il était tout de même un peu effrayé. Son épouvante devint réelle quand Gilles ouvrit le sac qu'il tenait toujours en main : le sac contenait des bousiers et non des abeilles ! Le fermier se précipita alors dans le cellier pour découvrir que, là aussi, la prédiction était accomplie, de même que, dans le pré, l'herbe était aussi haute que si nul n'y avait touché !
Fou de rage, l'avare ordonna à Gilles de quitter sa ferme immédiatement, mais celui-ci avait encore un mot à dire : - Je désire que vous me donniez votre fille en mariage et votre ferme en dot ! Si vous refusez, je transforme votre argent en ...

 

Il n'eut pas le temps de terminer se phrase : le vieil avare était prêt à tout accepter pour garder ses écus. Quelques jours plus tard, c'est dans une grande joie que le mariage fut célébré. La mariée était aux anges, son bonheur la rendait plus belle encore. Gilles était un mari comblé : Gertrude continuait à tenir merveilleusement la maison et à cuisiner des plats succulents, comme elle l'avait toujours fait, et mieux encore.
L'avare vivait avec eux : Gilles lui avait fait cette faveur. Le fermier n'avait pas changé pour autant : il passait son temps à se morfondre en comptant et recomptant son or...

Par la suite, Gilles fit si bien fructifier le domaine qu'il devint plus riche que le fermier avare ne l'avait jamais été. Il devint même célèbre : dans la haute Amblève, quand on veut parler d'un homme fin et rusé, on dit de lui que c'est un Pafflard...